MANUEL D'ETHIQUE MEDICALE
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CHAPITRE 1 –
PRINCIPALES CARACTÉRISTIQUES DE L’ÉTHIQUE MÉDICALE
La vie au quotidien d’un médecin généraliste français
© Gilles Fonlupt/Corbis
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Manuel d’éthique médicale – Principales caractéristiques de L’éthique médicale
CHAPITRE 1 –
PRINCIPALES CARACTÉRISTIQUES DE L’ÉTHIQUE MÉDICALE
OBJECTIFS
a
près avoir étudié ce chapitre, vous devriez pouvoir:
·
expliquer pourquoi l’éthique est importante pour la
médecine
·
indiquer les principales sources de l’éthique médicale
·
distinguer les différents modes d’approche d’une prise
de décision éthique, y compris la vôtre.
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QUELLE EST LA PARTICULARITÉ DE LA
MÉDECINE?
Il semble que de tout temps et partout dans le monde, le fait d’être
médecin a signifié quelque chose de particulier. Le médecin est
celui que l’on contacte pour nous aider dans nos besoins les plus
pressants – soulager les douleurs et les souffrances, recouvrer la
santé et le bien-être. On permet au médecin de voir, de toucher,
de manipuler toutes les parties du corps humain, même les plus
intimes. Et ce, au nom de la conviction que le médecin agit dans le
meilleur intérêt du patient.
Le statut des médecins diffère d’un
pays à l’autre, voire même à l’intérieur
des pays. En général, cependant, il
semble se détériorer. Beaucoup de
médecins estiment qu’ils ne sont plus
respectés comme autrefois. Dans
certains pays, le contrôle des soins
de santé est progressivement passé des
mains des médecins à celles de bureaucrates ou d’administrateurs
professionnels et certains d’entre eux tendent à considérer les
médecins comme des obstacles plutôt que comme des partenaires
dans les réformes des soins de santé. Les patients qui autrefois
acceptaient inconditionnellement les ordres du médecin demandent
parfois aujourd’hui que celui-ci justifie ses recommandations
lorsqu’elles diffèrent des conseils obtenus
d’un autre praticien ou de l’Internet.
Certains actes, que seuls des
médecins étaient autrefois capables
d’exécuter, sont aujourd’hui effectués
par des techniciens, des infirmières
ou le personnel paramédical.
En dépit de ces changements qui
affectent le statut du médecin,
la médecine continue d’être une
“Beaucoup de
médecins estiment
qu’ils ne sont plus
respectés comme
autrefois.”
“Afin de répondre à
la fois aux attentes
des patients et des
étudiants, il importe
que les médecins
connaissent et
démontrent les valeurs
fondamentales de la
médecine...”
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Manuel d’éthique médicale – Principales caractéristiques de L’éthique médicale
profession tenue en haute estime par les personnes malades qui
ont besoin de ses services. Elle continue aussi d’attirer en grand
nombre des étudiants fort talentueux, travailleurs et dévoués. Afin
de répondre à la fois aux attentes des patients et des étudiants, il
importe que les médecins connaissent et démontrent les valeurs
fondamentales de la médecine, notamment la compassion, la
compétence et l’autonomie. Ces valeurs constituent, avec le respect
des droits humains fondamentaux, le fondement de l’éthique
médicale.
QUELLE EST LA PARTICULARITÉ
DE L’ÉTHIQUE MÉDICALE?
La compassion, la compétence et l’autonomie n’appartiennent pas
en exclusivité à la médecine. Cependant, on attend des médecins
qu’ils les portent à un degré d’exemplarité plus grand que dans
beaucoup d’autres professions.
La compassion
, définie comme la compréhension et la sensibilité
aux souffrances d’autrui, est essentielle à la pratique de la médecine.
Pour traiter les problèmes du patient, le médecin doit reconnaître
les symptômes et leurs causes sous-jacentes et vouloir aider le
patient à obtenir un soulagement. Les patients répondent mieux
au traitement s’ils sentent que le médecin est sensible à
leur problème et qu’il soigne leur personne plutôt que leur seule
maladie.
Un haut degré de
compétence
est à la fois attendu et exigé des
médecins. Le manque de compétence peut avoir des conséquences
graves ou entraîner la mort. Les médecins reçoivent un enseignement
long destiné à leur assurer cette compétence, mais vu l’évolution
rapide des connaissances médicales, le maintien de ces aptitudes
constitue un défi qu’ils doivent relever sans cesse. Du reste, il ne
s’agit pas seulement de maintenir un niveau de connaissances
scientifiques et de compétences techniques mais aussi des
connaissances, compétences et comportements éthiques, puisque
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les nouvelles questions éthiques dérivent des changements de
la pratique médicale même et de son environnement social et
politique.
L’autonomie
, ou l’autodétermination, est la valeur fondamentale
de la médecine qui a connu le plus de changements au cours des
D
ÉCLARATION
DE
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EN
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DE
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SSOCIATION
M
ÉDICALE
M
ONDIALE
a
u moment d’être admis comme membre de la profession
médicale:
Je prends l’engagement solennel de consacrer ma vie au
service de l’humanité;
Je témoignerai à mes maîtres le respect et la reconnaissance
qui leur sont dus;
J’exercerai ma profession avec conscience et dignité;
Je considérerai la santé de mon patient comme mon
premier souci;
Je respecterai les secrets qui me seront confiés, même
après la mort du patient;
Je maintiendrai, dans toute la mesure de mes moyens,
l’honneur et les nobles traditions de la profession
médicale;
Mes collègues seront mes soeurs et mes frères;
Je ne permettrai pas que des considérations d’âge, de
maladie ou d’infirmité, de croyance, d’origine ethnique,
de sexe, de nationalité, d’affiliation politique, de race,
d’inclinaison sexuelle, de statut social ou tout autre critère
s’interposent entre mon devoir et mon patient;
Je garderai le respect absolu de la vie humaine;
Je n’utiliserai pas mes connaissances médicales pour
enfreindre les droits de l’homme et les libertés civiques,
même sous la menace;
Je fais ces promesses solennellement, librement et sur
l’honneur
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Manuel d’éthique médicale – Principales caractéristiques de L’éthique médicale
dernières années. Les médecins ont, sur le plan individuel, de tout
temps bénéficié d’une grande autonomie en matière de traitement
clinique du patient. Sur le plan collectif, les médecins ont eu toute
liberté de définir les normes de l’enseignement médical et de la
pratique médicale. Comme le montrera ce manuel, dans beaucoup
de pays, ces deux modes de pratique médicale ont été limités par
les gouvernements ou d’autres autorités de contrôle de la profession
médicale. Malgré ces défis, les médecins continuent d’accorder
une grande valeur à leur autonomie clinique et professionnelle
et s’efforcent de la préserver du mieux possible. Dans le même
temps, l’autonomie du patient reçoit partout dans le monde une
reconnaissance générale de la part des médecins, ce qui signifie que
le patient doit être celui qui prend la décision finale sur les questions
le concernant. Le manuel donnera des exemples de conflits entre
l’autonomie du médecin et le respect de l’autonomie du patient.
Outre son adhésion à ces trois valeurs fondamentales, l’éthique
médicale se distingue de l’éthique générale qui s’applique à chacun
en ce qu’elle est publiquement
professée
dans un serment (par
exemple, la
Déclaration de Genève de l’AMM
) et/ou un code.
Ces serments et ces codes, bien que différents d’un pays à l’autre,
voire à l’intérieur d’un même pays, ont cependant plusieurs points
communs, notamment la promesse que le médecin fera prévaloir
les intérêts de son patient, s’abstiendra de toute discrimination
sur la base de la race, de la religion ou d’autres droits humains,
protègera la confidentialité de l’information du patient et fournira, le
cas échéant, les soins d’urgence ou exigés.
QUI DÉCIDE DE CE QUI EST ÉTHIQUE?
L’éthique est pluraliste. Les individus ne sont pas toujours d’accord
sur ce qui est juste ou ce qui est faux, et même quand ils le sont,
ce peut être pour des raisons différentes. Dans certaines sociétés,
ces différences sont considérées comme normales, chacun étant
libre d’agir comme il le veut à condition de respecter les droits
d’autrui. Dans les sociétés plus traditionnelles, cependant, l’éthique
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fait l’objet d’un plus grand consensus et aussi de plus grandes
pressions sociales, parfois soutenues par des lois, pour agir d’une
certaine manière plutôt qu’une autre. Dans ces sociétés, la culture
et la religion jouent souvent un rôle important dans la détermination
du comportement éthique.
La réponse à la question de qui décide de ce qui est éthique en
général diffère donc d’une société à l’autre, voire au sein même
d’une société. Dans les sociétés libérales, les individus ont une
grande liberté de décider pour eux-mêmes de ce qui est éthique,
même s’il est possible qu’ils soient influencés par leurs familles,
leurs amis, leur religion, les medias et d’autres sources extérieures.
Dans les sociétés plus traditionnelles, le rôle des familles, des
anciens, des autorités religieuses et des leaders politiques dans
la définition des valeurs éthiques est généralement plus grand que
celui des individus.
En dépit de ces différences, il semble que la plupart des êtres
humains soient d’accord avec certains principes éthiques de base,
notamment les droits humains fondamentaux proclamés dans la
Déclaration universelle des droits
de l’homme
des Nations Unies
et par d’autres documents généralement reconnus et officiellement
approuvés.
a
u regard de l’éthique médicale, les droits humains les
plus importants sont le droit à la vie, l’absence de discrimination,
de torture et de traitement cruel, inhumain ou dégradant, la liberté
d’opinion et d’expression, l’égalité d’accès aux services publics et
aux soins médicaux.
a
la question de savoir qui décide de ce qui est éthique, les
médecins donnaient encore il y a peu des réponses quelque peu
différentes.
a
u cours des siècles, la profession médicale a énoncé
ses propres normes de comportement pour ses membres, sous la
forme de codes d’éthique et de déclarations.
a
u plan international,
l’
a
MM a élaboré un grand nombre de prises de positions éthiques
recommandant une ligne de conduite aux médecins quel que soit
leur lieu de résidence ou de pratique. Dans beaucoup de pays,
voire la plupart, les associations médicales ont la responsabilité
21
Manuel d’éthique médicale – Principales caractéristiques de L’éthique médicale
d’élaborer et de mettre en place des normes éthiques applicables.
En fonction de la législation médicale en vigueur dans le pays, ces
normes peuvent avoir une valeur juridique.
Cependant, la possibilité pour la profession médicale de définir ses
propres règles éthiques n’est jamais apparue comme un privilège
absolu. Pour exemple,
•
les médecins ont toujours été soumis à la législation générale
en vigueur dans le pays et ont parfois été sanctionnés pour
avoir agi contrairement à ces lois;
•
certaines organisations médicales sont fortement influencées
par les enseignements religieux qui imposent des obligations
supplémentaires à leurs membres, en plus de celles qui
s’appliquent à tous les médecins;
•
dans certains pays, les organisations chargées d’énoncer
les normes de la pratique des médecins et d’en contrôler
l’application comptent aujourd’hui parmi leurs membres un
nombre important de non médecins.
Les directives éthiques des associations médicales sont générales
par nature. Elles ne peuvent traiter les cas particuliers que les
médecins rencontrent dans l’exercice de leur profession. La plupart
du temps, les médecins doivent décider par eux-mêmes de ce qu’il
est juste de faire, mais le fait de savoir
ce que d’autres médecins feraient
en pareils cas peut leur être fort utile.
Les codes d’éthique médicaux et les
déclarations de principe reflètent un
consensus général sur la manière
dont les médecins devraient agir et
il importe que ces principes soient
respectés à moins qu’il existe de
bonnes raisons d’agir autrement.
“...le fait de savoir ce
que d’autres médecins
feraient en pareils
cas peut leur être fort
utile.”
22
L’ÉTHIQUE MÉDICALE CHANGE-T-ELLE?
Certains aspects de l’éthique médicale ont changé au cours des
années. Il y a peu encore, les médecins avaient le droit et le devoir
de décider du mode de traitement des patients et il n’y avait aucune
obligation d’obtenir leur consentement éclairé. En contraste, la plus
récente version de 2005 de la
Déclaration des droits du patient
de l’AMM commence par cette affirmation: «
La relation entre les
médecins, les patients et la société en général a connu ces derniers
temps des changements importants.
a
lors que le médecin doit
toujours agir selon sa conscience et dans le meilleur intérêt du patient,
il importe par ailleurs de veiller à garantir au patient l’autonomie et
la justice
». De nombreux individus estiment aujourd’hui qu’ils sont
leurs propres fournisseurs de soins et que le médecin a pour rôle
de les conseiller ou de les instruire. Même si cette vision des soins
de santé en automédication est loin d’être générale, elle semble
progresser et est, en tout cas, symptomatique d’une évolution plus
globale de la relation médecin / patient qui provoque des changements
dans les obligations éthiques des médecins.
Jusqu’à récemment, les médecins estimaient qu’ils n’étaient
responsables
qu’envers eux-mêmes, leurs collègues et,
pour les croyants, envers Dieu.
a
ujourd’hui, ils ont aussi des
responsabilités envers leurs patients, des tiers comme les hôpitaux,
les
administrations de soins de santé,
les organismes délivrant
les autorisations d’exercice et les
pouvoirs réglementaires, par exemple,
et souvent aussi envers les cours de
justice. Ces différentes responsabilités
peuvent parfois s’avérer conflictuelles
comme le montreront les discussions
sur la double allégeance, au chapitre
3.
L’éthique médicale a également changé en d’autres points. La
participation à l’avortement, interdite par les codes d’éthique jusqu’à
peu, est maintenant tolérée à certaines conditions par la profession
“Ces différentes
responsabilités
peuvent parfois
s’avérer
conflictuelles...”
23
Manuel d’éthique médicale – Principales caractéristiques de L’éthique médicale
médicale dans beaucoup de pays.
a
lors que l’éthique médicale
traditionnelle n’exigeait des médecins que leur responsabilité
envers leurs patients, il est de nos jours généralement entendu
que les médecins doivent également tenir compte des besoins de
la société, par exemple, de l’allocation des ressources limitées de
santé (cf. chapitre 3).
Les progrès de la technologie et des sciences médicales soulèvent
des questions éthiques nouvelles auxquelles l’éthique médicale
traditionnelle ne peut répondre. La procréation médicalement
assistée, la génétique, l’informatisation des données de santé, et
la prolongation de la vie, toutes qui nécessitent la participation des
médecins, peuvent, selon l’utilisation qui en est faite, s’avérer fort
bénéfiques mais aussi fort préjudiciables pour les patients. Pour
aider les médecins à décider de leur participation à ces activités, et
de quelles conditions, les associations médicales doivent proposer
des méthodes analytiques différentes et ne plus simplement s’en
remettre aux codes d’éthique existants.
En dépit des changements manifestes de l’éthique médicale, les
médecins sont généralement d’accord sur le fait de ne pas modifier,
ou du moins de pas devoir modifier, les valeurs fondamentales et
les principes éthiques de la médecine. Etant donné la certitude
qu’ils seront toujours affectés par les maladies, les êtres humains
auront toujours besoin de médecins compatissants, compétents et
indépendants pour les soigner.
L’ÉTHIQUE MÉDICALE DIFFÈRE-T-ELLE
D’UN PAYS À L’AUTRE?
Tout comme l’éthique médicale peut et doit évoluer avec le temps ainsi
qu’avec les progrès des technologies et des sciences médicales et
aussi des valeurs de la société, elle diffère, pour les mêmes raisons,
d’un pays à l’autre. Sur la question de l’euthanasie, par exemple, il
existe des divergences d’opinion importantes entre les différentes
associations médicales nationales. Certaines la condamnent,
24
d’autres font valoir leur neutralité, et l’une d’entre elles, l’
a
ssociation
médicale néerlandaise, l’accepte à certaines conditions. De même,
concernant l’accès aux soins de santé, certaines associations
soutiennent l’égalité de tous les citoyens tandis que d’autres sont
prêtes à tolérer de grandes inégalités. Certains pays manifestent
un grand intérêt pour les questions éthiques soulevées par les
avancées de la technologie médicale alors que ces questions ne se
posent pas dans les pays qui n’ont pas accès à cette technologie.
Dans certains pays, les médecins sont assurés de ne pas être
contraints par leur gouvernement de faire quelque chose qui soit
contraire aux principes éthiques alors que dans d’autres pays ils
peuvent avoir des difficultés à faire respecter leurs obligations
éthiques, par exemple, le respect de la confidentialité des patients
malgré les demandes, par la police ou l’armée, de signalement de
blessures «
suspectes
».
Bien que ces différences puissent paraître importantes, il existe un
nombre plus grand encore de similitudes. Les médecins ont partout
dans le monde beaucoup en commun et lorsqu’ils se rassemblent
au sein d’organisations comme l’
a
MM, ils parviennent généralement
à s’entendre sur des questions éthiques controversées, même si
cela nécessite souvent de longs débats. Les valeurs fondamentales
de l’éthique médicale comme la compassion, la compétence,
l’autonomie et aussi l’expérience et le savoir-faire des médecins
constituent une base solide pour analyser les questions éthiques et
parvenir aux solutions qui seront dans le meilleur intérêt du patient,
du citoyen et de la santé publique en général.
LE RÔLE DE L’AMM
É
tant la seule organisation internationale cherchant à représenter
tous les médecins, quelles que soient leur nationalité ou spécialité,
l’
a
MM a pour rôle d’établir des normes générales d’éthique
médicale applicables à l’échelle mondiale. Depuis sa création en
1947 elle s’emploie à prévenir la résurgence de comportements
contraires à l’éthique tels ceux des médecins de l’
a
llemagne nazie
25
Manuel d’éthique médicale – Principales caractéristiques de L’éthique médicale
ou d’ailleurs. La première tâche de l’
a
MM a été d’actualiser le
serment d’Hippocrate avec pour résultat, la
Déclaration de Genève
,
adoptée par la deuxième
a
ssemblée de l’
a
MM, en 1948. Le texte a
été depuis lors plusieurs fois révisé, dont dernièrement en 2006. Sa
deuxième tâche a été d’élaborer un
Code international d’éthique
médicale
, adopté par la troisième
a
ssemblée générale en 1949 et
révisé en 1968, 1983 et 2006. Ce code est actuellement en cours
de révision. Puis l’
a
MM s’est employée à développer des directives
éthiques pour la recherche sur des sujets humains. Ces travaux
demandèrent beaucoup plus de temps que les deux précédents
et il fallut attendre 1964 pour que la
Déclaration d’Helsinki
soit
adoptée. Ce document fut aussi l’objet de révisions périodiques,
dont la dernière remonte à 2000.
Outre ces déclarations éthiques de
base, l’
a
MM a adopté des prises de
position sur plus d’une centaine de
sujets dont la plupart sont de nature
éthique. D’autres textes concernent
les questions médico-sociales, y
compris l’enseignement médical
et les systèmes de santé. Chaque
année, l’
a
ssemblée générale de
l’
a
MM révise quelques déclarations
existantes et/ou adopte de nouveaux
textes.
COMMENT L’AMM DÉCIDE-T-ELLE DE CE QUI
EST ÉTHIQUE?
Il n’est pas facile de parvenir à un accord international sur
des questions éthiques controversées, même pour un groupe
relativement homogène comme les médecins. L’
a
MM s’assure de
la nature consensuelle de ses déclarations éthiques en requérant
un taux de 75�e voix en faveur de toute déclaration nouvelle
ou révisée lors de son assemblée annuelle. Pour obtenir ce degré
“... l’AMM a pour
rôle d’établir des
normes générales
d’éthique médicale
applicables à
l’échelle mondiale.”
26
de consensus, il importe de débattre
les projets sur une grande échelle,
de soumettre les commentaires
à l’attention du comité d’éthique
médicale, voire d’un groupe de travail
spécialement nommé, de rédiger un
nouveau texte et parfois le soumettre
de nouveau à la discussion. Le
processus peut être long, cela dépend
de la complexité et/ou de la nature de la question. Par exemple,
une récente révision de la
Déclaration d’Helsinki
commença
en1997 et ne fut terminée qu’en octobre 2000. Et il reste encore des
questions non résolues dont le comité d’éthique médicale et des
groupes successifs poursuivent l’examen.
Une bonne méthode est essentielle mais ne garantit pas pour autant
un bon résultat. En décidant de ce qui est éthique, l’
a
MM perpétue
une longue tradition d’éthique médicale comme en témoignent ses
plus anciennes déclarations. Elle tient compte, du reste, des autres
prises de position exprimées sur le sujet par les organisations
nationales et internationales et les spécialistes des questions
éthiques. Sur certaines questions, comme le consentement éclairé,
l’
a
MM partage le point de vue de la
majorité. Sur d’autres, notamment
la confidentialité des données
médicales personnelles, la position
des médecins doit être défendue avec
force auprès des gouvernements,
des administrateurs des systèmes
de santé et/ou des entreprises
commerciales. La particularité de
l’approche de l’
a
MM, en termes de
conception éthique, est de donner
la priorité au patient ou sujet de
recherche. Le médecin professant
la
Déclaration
de Genève
fait la
“Sur certaines
questions ... la position
des médecins doit
être défendue avec
force auprès des
gouvernements, des
administrateurs des
systèmes de santé
et/ou des entreprises
commerciales.”
“Il n’est pas facile
de parvenir à un
accord international
sur des questions
éthiques
controversées”
27
Manuel d’éthique médicale – Principales caractéristiques de L’éthique médicale
promesse suivante : « Je considérerai la santé de mon patient
comme mon premier souci ». Et la
Déclaration d’Helsinki
stipule
que «Dans la recherche médicale impliquant des êtres humains,
le bien-être de chaque personne impliquée dans la recherche doit
prévaloir sur tous les autres intérêts. »
COMMENT LES INDIVIDUS DÉCIDENT-ILS DE
CE QUI EST ÉTHIQUE?
Pour les médecins et les étudiants en médecine, l’éthique médicale
ne se limite pas à suivre les recommandations de l’
a
MM ou des
autres organisations médicales. Ces
directives sont souvent de nature
générale et chacun doit décider de
les appliquer ou non à une situation
donnée. De plus, il existe dans la
pratique médicale de nombreuses
questions éthiques pour lesquelles les
associations médicales ne proposent
pas de recommandations. En fin de
compte, c’est aux individus que revient la responsabilité de prendre
leurs propres décisions éthiques et de les appliquer.
Il existe différentes façons d’aborder les questions éthiques comme
celles présentées dans les études de cas au début de ce manuel.
On peut les diviser en deux grandes catégories : les approches
rationnelles
et les approches non rationnelles. Il est important ici
de préciser que non rationnel ne veut pas dire irrationnel, mais
simplement qu’il convient de faire une distinction avec l’utilisation
systématique, réfléchie de la raison dans la prise de décision.
Approches non rationnelles
•
L'
obéissance
est une façon courante de prendre des décisions
éthiques, en particulier chez les enfants et chez les personnes
qui travaillent dans des institutions autoritaires (par exemple,
la police, l’armée, certaines organisations religieuses, un grand
nombre d’entreprises). La moralité consiste à suivre les règles
“En fin de compte,
c’est aux individus
que revient la
responsabilité de
prendre leurs propres
décisions éthiques et
de les appliquer.”
28
ou instructions de ceux qui ont le pouvoir, que l’on soit d’accord
ou non avec eux.
•
L'
imitation
s’apparente à l’obéissance en ce sens qu’elle
subordonne le jugement du vrai et du faux à celui d’une autre
personne, en l’occurrence, un modèle à émuler. La moralité
consiste à suivre l’exemple de ce modèle. Il s’agit là peut-être
de la manière la plus courante d’apprendre l’éthique pour les
futurs médecins dont les modèles à émuler sont ici d’éminents
spécialistes et le mode d’enseignement est l’observation et
l’assimilation des valeurs représentées.
•
La
sensibilité
ou le
désir
est une approche subjective de la
prise de décision ou comportement moral. Ce qui est juste est
ce que l’on sent être juste ou ce qui répond à un désir. Ce qui est
faux est ce que l’on sent être faux ou constitue une frustration du
désir. La mesure de la moralité se trouve dans chaque personne
et, naturellement, peut beaucoup varier d’un individu à l’autre,
voire chez un même individu avec le temps.
•
L'
intuition
est une perception immédiate de la bonne façon
d’agir dans une situation donnée. Elle s’apparente au désir en
ce qu’elle est entièrement subjective mais s’en distingue de
par son emplacement dans l’esprit plutôt que dans la volonté.
Elle se rapproche, dans une certaine mesure, davantage des
formes rationnelles de la prise de décision éthique que ne le font
l’obéissance, l’imitation, la sensibilité ou le désir. Cependant,
elle n’est ni systématique ni réfléchie mais dicte les décisions
morales par une simple idée-éclair. Comme la sensibilité et le
désir, elle peut beaucoup varier d’un individu à l’autre, voire
chez un même individu avec le temps.
•
L'
habitude
est une méthode efficace de prise de décision
morale puisqu’il n’est pas nécessaire de répéter le processus
de décision systématique chaque fois qu’une question morale
identique à celles précédemment rencontrées se présente.
Cependant, il existe de mauvaises habitudes (par exemple,
29
Manuel d’éthique médicale – Principales caractéristiques de L’éthique médicale
mentir) et de bonnes habitudes (par exemple, dire la vérité). De
plus, il est possible que des situations apparemment semblables
requièrent des décisions très différentes.
a
ussi utile que puisse être
une habitude, on ne peut donc lui accorder toute sa confiance.
Approches rationnelles
En tant qu’étude de la moralité, l’éthique reconnaît la prédominance
des approches non rationnelles dans la prise de décision et
le comportement. Cependant, elle s’intéresse en premier lieu
aux approches rationnelles, notamment la déontologie, la
conséquentialisme, le principalisme et l’éthique de la vertu.
•
La
déontologie
concerne la recherche de règles fondamentales
pouvant servir de base à des décisions morales. En exemple,
on peut citer la formule «
traiter chacun comme égal
». Ses
origines peuvent être religieuses (la croyance que toutes les
créatures de Dieu sont égales) ou non religieuses (les êtres
humains partagent quasiment les mêmes gènes). Une fois les
règles établies, elles doivent être appliquées à des situations
particulières mais les exigences requises par ces règles peuvent
parfois être l’objet de désaccords (par exemple, la question de
savoir si la règle qui interdit de tuer un autre être humain prohibe
l’avortement ou la peine capitale).
•
Le
conséquentialisme
fonde la prise de décision éthique sur
l’analyse des conséquences ou résultats des différents choix ou
actes. L’action juste est celle qui produit les meilleurs résultats.
Naturellement, il peut y avoir désaccord sur ce que l’on estime
être un bon résultat. L’une des formes les plus connues de cette
théorie, à savoir l’
utilitarisme
, retient «
l’utilité
» comme unité
de mesure et définit ce principe comme «
le plus grand bien
pour le plus grand nombre
». Parmi les autres mesures utilisées
dans la prise de décision relative aux soins de santé figurent
le coût / efficacité et les systèmes de mesure de la qualité de
la vie,
a
VCQ (années de vie corrigées par la qualité) ou
a
VCI
(années de vie corrigées de l’invalidité). Les partisans de la
30
théorie des conséquences font généralement peu de cas des
principes car ils sont trop difficiles à identifier, à faire valoir et à
appliquer et, de toute façon, ne tiennent pas compte de ce qui
importe pour eux dans une prise de décision morale, à savoir, les
résultats. Cependant, cette mise à l’écart des principes expose
la théorie des conséquences à des critiques, notamment le fait
qu’elle permettrait que «
la fin justifie les moyens
», à savoir que
les droits de la personne humaine peuvent être sacrifiés pour
parvenir à certaines fins.
•
Le
principalisme
, comme son nom l’indique, pose les principes
éthiques comme fondement des prises de décision morale. Elle
applique ces principes à des situations ou cas particuliers pour
savoir ce qu’il convient de faire, en tenant compte à la fois des
règles et des conséquences. Le principalisme a été très influent
dans de récents débats éthiques, en particulier aux
É
tats-Unis.
Quatre principes —
le respect de l’autonomie, la
bienfaisance
,
la
non malfaisance
et la
justice
—
ont été considérés comme les
plus importants pour la prise de décision éthique dans la pratique
médicale. Les principes jouent en effet un rôle important dans
les prises de décision rationnelles. Cependant, le choix de ces
principes, en particulier la primauté qu’ils donnent au respect
de l’autonomie, renvoie à une culture libérale occidentale et
non forcément universelle. De plus, étant donné qu’il existe des
situations particulières dans lesquelles ces quatre principes
apparaissent souvent incompatibles, il importe que des critères
ou des méthodes permettant de résoudre ces conflits soient
établis.
•
L'
éthique de la vertu
s’intéresse moins à la prise de décision
qu’au caractère des décideurs tel qu’il s’exprime dans leur
comportement. Une vertu est un type d’excellence morale.
Comme indiqué précédemment, la compassion est une
vertu particulièrement importante pour le médecin. Et aussi,
l’honnêteté, la prudence et le dévouement. Les médecins
qui possèdent ces vertus sont mieux à même de prendre les
31
Manuel d’éthique médicale – Principales caractéristiques de L’éthique médicale
bonnes décisions et de bien les appliquer. Cependant, même
les personnes vertueuses ne sont souvent pas sûres de la
manière d’agir dans certaines situations et ne sont pas à l’abri
d’une mauvaise décision.
a
ucune de ces quatre approches ou d’autres proposées n’est
parvenu à emporter un assentiment universel. Les individus diffèrent
les uns des autres tant dans leur préférence pour une approche
rationnelle de la prise de décision éthique que dans leur préférence
pour une approche non rationnelle. Cela peut s’expliquer en partie
par le fait que chaque approche présente à la fois des points forts
et des points faibles. Une combinaison des quatre approches
qui retiendrait de chacune ce qu’elle a de meilleur peut-être un
excellent moyen de prendre des décisions éthiques rationnelles. Il
s’agit d’identifier les règles et les principes les mieux appropriés à
une situation donnée et de tenter de les appliquer au plus grand
nombre possible. Il conviendra aussi d’examiner les conséquences
possibles des autres alternatives et d’indiquer celles qui sembleraient
préférables. Enfin, il conviendra de s’assurer que le comportement
du décideur, à la fois au regard de la prise de décision et de sa mise
en application, est admirable.
Les étapes de ce processus de prise de décision seraient les
suivantes
:
1.
déterminer l’éventuelle nature éthique de la question
donnée;
2.
consulter les sources autorisées comme les déclarations
et codes d’éthiques des associations médicales et les
collègues respectés afin de voir comment les médecins
traitent généralement ce problème;
3.
examiner les autres solutions possibles à la lumière des
principes et valeurs qu’elles contiennent et de leurs
conséquences probables;
4.
discuter la solution proposée avec les personnes
concernées;
32
5.
décider et agir avec sensibilité envers les autres personnes
concernées;
6.
évaluer la décision prise et être prêt à agir différemment à
l’avenir.
Con
C
lusion
This chapter sets the stage for what follows.
When dealing with specific issues in medical
ethics, it is good to keep in mind that
physicians have faced many of the same
issues throughout history and that their
accumulated experience and wisdom can be
very valuable today. The WMA and other m
33
Manuel d’éthique médicale – Principales caractéristiques de L’éthique médicale
CONCLUSION
Le présent chapitre prépare en quelque sorte
celui qui suit. Lorsque des questions spécifiques
d’éthique médicale se posent, il est bon de se
rappeler que des médecins ont déjà rencontré bon
nombre de ces problèmes dans le passé et que
leurs expériences et sagesse conjuguées peuvent
aujourd’hui être très utiles. L’AMM et d’autres
organisations médicales perpétuent cette tradition
par l’énoncé de recommandations éthiques utiles
aux médecins. Cependant, malgré un haut niveau
de consensus des médecins sur ces questions,
certains peuvent ne pas être ou ne sont pas
d’accord sur la manière de traiter certains cas
particuliers. De plus, l’avis du médecin peut être
complètement différent de celui du patient ou
autre fournisseur de soins. Il importe surtout, pour
résoudre ces conflits éthiques, que les médecins
comprennent les différentes approches d’une
prise de décision éthique, non seulement la leur,
mais aussi celle des personnes avec lesquelles ils
interagissent. Ils pourront ainsi décider par eux-
mêmes de la meilleure façon d’agir et expliquer
leur décision aux autres.